Deux mois. Ça passait vite deux mois. Et normalement on l’aurait déjà abandonné en deux mois. Parce qu’il n’avait pas le temps. Parce qu’il ne prenait pas de temps pour les autres. Deux mois, et pourtant Aidan était toujours là. Toujours dans sa vie. S’imposant au konbini sous le regard presque un peu trop dure de Jude. S’imposant dans sa vie dès qu’il avait un peu de temps. Même une demi-heure. Un coup de téléphone, une visite dans la boutique de fleur, tout était bon à prendre pour le sino-canadien. Et Lian Hua appréciait l’attention. S’attachait. Encore plus qu’il ne l’aurait pensé. Il s’attachait. Jusqu’à ce que la réalisation se fasse il y a peu, et qu’elle le laisse le ventre noué, le cœur serré. Il était amoureux. Il ne voulait pas l’être. Parce que malgré tout, il connaissait l’issu. Il savait qu’au final il finirait seul, le cœur un peu plus amoché. Et de la tristesse plein les yeux et plus de la fatigue. En plus de la déception. En plus de la culpabilité. De n’avoir su arranger les choses, de ne savoir être ce qu’on voulait qu’il soit. Mais il était amoureux. Et la réalité était là. Le laissant toujours impatient de revoir Aidan. Impatient mais aussi la gorge sèche. Parce qu’il savait bien qu’il y avait des hésitations chez le plus âgé. Comme s’il commençait déjà à comprendre. Que Lian Hua n’était pas assez bien.
« Bonsoir, » La voix le surprenait tandis qu’il était dans l’arrière boutique en train de ranger son plan de travail où il préparait les compositions florales. La voix de sa patronne le surprenait moins, tandis qu’elle lui demandait de s’occuper de ce client de dernière minute. Essuyant ses mains contre son tablier, un sourire, commercial, aux lèvres, il était devenu plus doux, plus vrai en voyant qui se trouvait dans la petite boutique de fleurs. Forcément qu’il avait reconnu sa voix. Il n’avait juste pas voulu se donner d’espoir. Pas encore malmener son cœur qui espérait tant. Sans savoir qu’il serait malmené malgré tout. Violemment.
« Hey, wassup?
- La routine, et toi ? Les pensées vont bien ? » Sourire. Il avait osé. Pour son anniversaire à Aidan, il lui avait demandé de passer au konbini et il lui avait offert des pensées en pot, la signification derrière correspondant à ce qu’il ressentait. C’était aussi ce jour là où il avait avoué travailler chez un fleuriste. Être incollable sur la signification des fleurs à offrir aussi.
« Je voudrais une rose rouge et une blanche s’il te plait. Pas de mot, je les donnerai … main à main. » Sourire fragile. Il avait acquiescé la gorge serrée, la tête soudainement lourde. C’était la saint valentin aujourd’hui. Et si il avait eu sa soirée de libre au konbini,
amuse-toi que lui avait dit la mère de Jude, il avait travaillé toute la journée dans la petite boutique fleur, enchainant bouquets et autre composition, toujours un sourire aux lèvres à l’idée que la personne qui recevrait des fleurs serait tellement heureuse. Pourtant ces fleurs là, il n’avait pas envie de les donner, parce son cœur battait méchamment dans sa poitrine, et qu’il connaissait les affres d’un sentiment qu’il haïssait :
la jalousie. Elles n’étaient pas pour lui ces roses. Aidan … Aidan avait finalement compris qu’il n’en valait pas la peine.
Son rire nerveux le blessait. Mais méthodiquement, automatiquement, il avait attrapé une première rose. La rouge. L’amour véritable, passionnel. L’amour éternel. Puis la deuxième. La blanche. L’amour pur, la sincérité des sentiments.
Pas envers lui. Deux roses, une demande pour se faire pardonner. Deux roses, une demande de considération.
Pas pour lui. Sourire, il les lui préparait avec soin, malgré tout, un ruban reliant les deux roses avec d’autres gerbes de plantes, d’autres fleurs pour faire ressortir la beauté des deux roses, le papier transparent crissant sous ses doigts. Jusqu’à lui tendre. Un sourire aux lèvres parce qu’il ne voulait pas pleurer. Non.
« À une prochaine, lil’ boy. » Non. Et la porte qui se refermait derrière Aidan, un bruit de clochette assourdissant à ses oreilles. Et ses larmes qui coulaient, tandis qu’il reniflait piteusement. Il ne lui avait même pas encore rendu son sweat, reculant à chaque fois le moment par des excuses, juste pour le garder un peu plus longtemps. C’était inutile à présent. Il faudrait qu’il lui rende la prochaine fois au Konbini … Tant pis pour la promesse. S’essuyant les yeux douloureusement, il ne voulait pas pleurer pour y avoir cru encore, il assura à sa patronne que ça allait,
une poussière dans l’œil, et qu’il allait fermer le magasin après avoir passé le balai.
Il avait tout de même les yeux rouges Lian Hua. Parce que les larmes s’étaient accumulées au coin de ses yeux tandis qu’il continuait de renifler, son regard se posant sur les roses près du comptoir. Il avait tout de même les yeux rouges, même en étant emmitouflé dans son long manteau, son écharpe lui mangeant la moitié du visage. Il avait quand même les yeux rouges tandis qu’il sursautait à la voix d’Aidan, s’étonnant de le voir là. S’étonnant encore plus de le voir avec le bouquet qu’il lui avait préparé tendu vers lui.
« Re bonsoir, j’espère qu’elles te plaisent. » Et il allait pleurer de nouveau Lian Hua tandis qu’il attrapait le bouquet d’une main tremblante pour y plonger son visage. Pour respirer les fleurs mais aussi pour cacher son visage et ses yeux trop humides.
« Et j’espère que tu n’as aucun plan ce soir, car tu devras les annuler j’en ai peur. T’auras besoin de ça. » Et il avait eu du mal à attraper le casque, à le mettre sur sa tête, sans faire tomber le bouquet. Il avait eu du mal à monter sur la moto, ses bras enserrant la taille d’Aidan, le bouquet finissant contre le torse de celui-ci, toujours bien tenu entre ses mains.
« Tu es un idiot Aidan. » qu’il murmura en mandarin sa voix rendue étouffée avec le casque tandis qu’il posait sa tête contre son dos, reniflant de nouveau, cherchant à retenir ses larmes.
« Mon idiot. »