mardy bum -- Les notes sauvages s’échappent des enceintes, la fougue des guitares et la violence de la batterie et la fureur des basses qui font trembler les murs, sans que la locataire ne se préoccupe de ce que peuvent en penser les voisins. Assise sur le rebord de la fenêtre, clope au bec, une jambe qui se balance dans le vide, ran contemple paresseusement la ville sous ses pieds. Tokyo et ses néons tape-à-l’œil qui lui déchirent la rétine, tokyo et ses hauts bâtiments bras tendus vers le ciel, tokyo et son grouillement incessant, tokyo et sa vitesse grand v. elle s’en repait comme de chaque bouffée de tabac qui lui brûle le fond de la gorge, une morsure qui fait du bien, qui fait se sentir vivant. Tokyo c’est la jungle, et ran, petit animal sauvage, se dit qu’elle a presque sa place ici. Bien plus que dans le trop calme des montagnes et les règles qui appellent à la révolte. Ran elle a du feu dans le sang, mais ya de rares moments, comme ça, où le bourdonnement de la capitale l’apaise. Tokyo se presse et la voix rauque du chanteur vient lui déchirer les tympans, mais ran se sent étrangement tranquille. Paradoxe. Elle se laisse aller contre le mur dans son dos, et profite de cet instant.
Puis la sonnerie de l’interphone qui retentit. Elle l’aurait bien ignoré, mais la bulle est brisée.
Elle se traine en grommelant vers le combiné, et
c’est qui qui vient sans prévenir, et
ils peuvent pas envoyer un message, nan ?!. Des protestations qui s’étouffent quand la voix parle.
Rao.Ran elle essaie. Elle essaie, de pas paniquer, mais c’est pas facile avec rao juste en bas, juste là. C’est jamais facile avec rao. Ran elle a beau essayer de l’ignorer, de faire comme si c’était n’importe qui, comme si elle était pas là, elle le sent, son regard posé sur elle des fois, qui lui picote la peau et la démange –la tente. Rao et ses tentatives d’approche alors que ran veut juste fuir, rao et ses mots gentils, ses mots amis qui injectent le poison de la culpabilité et laissent comme un goût amer dans la bouche, rao qui insiste, qui vient jusque devant chez elle comme si c’était normal –mais c’est pas normal.
qu’est-ce qu’elle fout là. Elle fait pas trop attention à ce qu’elle fait, et ça lui vient à l’esprit qu’elle aurait juste pu raccrocher, mais c’est trop tard, parce que son doigt a déjà enfoncé le bouton. ya pas de raison de paniquer, pas vraiment. c’est juste rao, rao toute douce, rao toute fragile. Mais justement –justement. C’est rao qui vient la provoquer, alors qu’elle a rien demandé.
A peine quelques coups sont frappés sur la porte que la rousse l’a déjà tirée, d’un geste vif. Ya deux grands yeux qui l’accueillent, et voilà, c’est tout ce qu’elle veut toujours éviter.
Elle rentre les épaules et se décale un peu pour laisser son invitée improvisée entrer. Les enceintes battent toujours au rythme des basses comme de son cœur, et dans la pièce c’est un bazar comme dans sa tête, mais ran elle y fait pas attention parce que ses yeux ne quittent pas l’autre gamine et ses airs d’animal apeuré.
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qu’est-ce que tu veux ?Et voilà ça c’est tout ran, ya pas de bonjour ou de raisons de tourner autour du pot, juste un grognement rauque. Et elle se rend même pas compte, de la dureté de sa voix qui risque de faire tressaillir la pauvre rao déjà toute frissonnante d’anxiété, de son regard rude et ses sourcils froncé qui sont tout ce qu’elle a pas envie de trouver, la raison même de sa présence ici. Parce que ran sait pas exprimer ses émotions et, quand son cœur dit
panique et
incompréhension, son corps crie
colère. Et en laissant rao entrer dans son refuge elle a désagréable impression d’être prise au piège. Alors elle attend, tendue.
La vérité c’est que face à rao ran est toujours un peu trop faible sous ses airs durs.