Dahlia Noir )) Welcome to the show (( Maeda Chisei

La fierté envahissait Masashi. Comme avant chaque représentation, il avait fait le tour de ses acteurs, de ses artistes, retenant le moindre petit détail afin que tout soit parfait quelques minutes plus tard. Il lui était impossible d'imaginer une seule faute de mauvais goût. Pour le propriétaire du cabaret le Dahlia Noir, il désirait que tout soit respecté, que le show soit mené à bien de A à Z et que rien ne sorte du script plus qu'il ne le fallait. Bien sûr, il souhaitait que ses acteurs prennent des initiatives, soient bons et parfaits tout en ayant la chance d'avoir la liberté de ses mouvements. Ce soir, Masashi espérait une représentation plus que fantastique car il avait donné rendez-vous au stripteaser qu'il avait rencontré quelques jours auparavant. Cette personne lui demeurait ancré dans l'esprit et il attendait sa visite avec une certaine impatience. Viendrait-il ? C'était une question à laquelle il espérait obtenir une réponse positive dans peu de temps. Quoi qu'il en soit, il se devait de lancer le show, maintenant. Il prit une grande inspiration, jeta un bref regard dans un miroir pour vérifier son reflet et finalement fouler les planches de bois. Micro en main, la salle à moitié plongée dans le noir, Masashi vint prendre place au centre, un long silence s'installant avant qu'il ne prononce les premières paroles, ses pupilles noires sondant l'endroit à la recherche de l'homme qu'il espérait. « Mesdames et Messieurs, ce soir vous allez assister à un spectacle hors du commun. Univers décadents, artistes impressionnants, bienvenue au Dahlia Noir. Tous vos désirs seront réunis sur scène ce soir. Je vous souhaite une excellente représentation. » Lentement, le patron se faufila hors de la scène où le rideau rouge commençait déjà à se hisser tandis qu'une mélodie s'élevait en fond sonore.
Bras croisés sur sa poitrine, Masashi rejoignit sa table, fier d'assister une fois supplémentaire à ce spectacle qu'il avait monté de toute pièce. Artiste dans l'âme, le Japonais travaillait des heures entières sur les représentations, pouvait ne pas dormir pendant des jours sans jamais en ressentir la fatigue avant de mettre un point final à ses spectacles. C'était son plus beau projet, ce en quoi il avait choisi de croire malgré tous les avis négatifs qu'il avait pu recevoir en étant plus jeune. Il ne cesserait jamais de travailler pour cet établissement qui était finalement tout ce qu'il possédait. Passant une main dans sa chevelure, il jetait de temps en temps des regards dans la salle, n'apercevant pas celui qu'il désirait. Peut-être n'était-il pas très ponctuel. Masashi préférait ne pas trop y songer, au détriment du spectacle qui se déroulait devant lui. D'un geste, il commanda un whisky à l'un de ses serveurs qui passait dans le coin. Afin de ne pas s'agacer davantage, il songea à conserver son regard dur et intransigeant sur les artistes qui, épuisés, donnaient le meilleur d'eux-mêmes.
Finalement, une heure plus tard environ, le même rideau rouge redescendait sur les applaudissements de tous les spectateurs qui commençaient, petit à petit, à quitter le cabaret en venant remercier Masashi pour cette ambiance si étrange, pleine de désirs et d'envies. Certains, fébriles, n'osaient pas s'en aller tout de suite, prenant le temps de retrouver leurs souffles. Ceux-là, le propriétaire savait dores et déjà qu'il pouvait les compter dans ses meilleurs futurs clients. Il était en train de discuter avec l'un des derniers clients quand, par hasard, son regard fut happé par une  couleur blonde dans un renfoncement du bar, à quelques pas d'où il se tenait. Prenant congé de l'homme, Masashi se hâta de retrouver cette personne qui l'avait fait patienter bien trop longtemps à son humble goût. « Vous savez vous faire désirez, lança-t-il en guise de bonsoir, mais je n'avais pas de doute quant à votre venue. » Un large sourire illumina son visage jusqu'alors si professionnel.

Un léger sourire se traça sur les lèvres du gérant du Dahlia Noir qui s'était clairement attendu à cette réponse. « Je savais que vous sauriez tout de suite apprécier mon cabaret. » Qui entrait dans cet endroit particulier en ressortait toujours troublé. C'était tout à fait ce qu'avait désiré instaurer Masashi, une ambiance à la fois mystérieuse, pesante et si addictive. Il avait longtemps noirci des pages et des pages pour y appliquer ses nombreuses idées, et encore aujourd'hui il n'avait de cesse de chercher de quelle manière améliorer les spectacles proposés, les artistes et les services tout autour. Finalement, il demanda aussi une boisson pour accompagner le nouvel arrivant tant attendu, son visage ne démordant pas de celui de son interlocuteur. Ce soir, Chisei était tout en beauté, peut-être plus masculin que l'unique fois où leurs routes s'étaient croisées. Masashi avait très vite remarqué l'ambiguïté si plaisante du stripteaser. Alors saisi par sa cravate par le brun, le plus âgé ne se gêna pas de l'embrasser sur les lèvres de sorte à le décontenancer quelques brèves secondes, goûtant le délicat cocktail qu'il avait choisi en même temps. « Je suis ravi de vous voir accoudé à mon bar, reprit-il en léchant ses propres lèvres. Puis-je vous faire visiter le reste du Dahlia Noir ? Il regorge de surprises dont vous ignorez encore tant de choses. » La fierté s'échappait de ses propos, un égo parfois que l'on pensait surdimensionné, mais sûrement pas tant que ça si on connaissait le passé de Masashi.
L'homme en costume patienta quelques minutes, juste le temps pour eux de terminer leurs boissons. Ensuite, il tendit une main à son vis-à-vis pour l'aider à descendre de son perchoir et l'entraîner vers la scène, lui présentant les quelques personnes qui étaient encore debout dessus en train de ranger les décors. « J'imagine déjà un show spécial pour vous, où vous évolueriez dans un monde obscur dans un costume peu fourni, mais fabriqué de diamants. Vous envoûteriez si vite mon public... » Masashi se retint bien de dire qu'il n’envoûterait pas seulement son public, mais Chisei n'était pas dupe et savait d'ores et déjà que le patron du Dahlia Noir le désirait avec ardeur. Un instant plus tard, les deux hommes s'invitèrent à l'arrière de la scène, dans les coulisses. Là, Masashi fit faire le tour des loges à Chisei, lui présentant parfois des artistes quand ils les croisaient. Au fur et à mesure de la visite, le plus âgé ne tarissait pas de détails et d'éloges quant à son établissement, vantant les nombreux mérites qu'il y avait en y entrant. Enfin, au détour d'un couloir, ils tombèrent nez-à-nez avec une jeune femme élancée, aux cheveux argentés, vêtue d'une longue robe rouge. « Ah, Camila ! lança Masashi, je te présente Chisei. Chisei, voici Camila. Vous avez du la découvrir dans la scène de la décadence tout à l'heure. » « Enchantée de te rencontrer, Chisei, sourit la jeune femme. Tu ne nous avais pas dit que nous allions avoir de la visite, réprimanda-t-elle Masashi, nous rejoint-il ? » « La décision ne m'appartient pas », dit-il en faisant un clin d’œil complice.
Finalement, ils prirent congé de leur charmante interlocutrice pour se rendre dans la loge privée de Masashi. Là, il fit signe à son visiteur de s'installer sur le canapé bordeaux à sa droite et il sortit une bouteille de champagne avec deux coupes. Masashi s'assit en face de lui, versa du champagne dans l'une des flûtes puis la tendit à Chisei. « Votre maître vous a donc autorisé à venir me rendre visite ? l'interrogea-t-il, curieux. Je suis certain que vous avez su le convaincre, je n'en attendais pas moins de vous. » Charmeur et mystérieux, Masashi jeta un simple coup d'oeil vers son interlocuteur avant de lever son verre pour trinquer avec lui et de boire une gorgée. Voir Chisei dans son univers le rendait deux fois plus confiant que lors de sa visite dans le club de strip-tease où il exerçait et, clairement, le Dahlia Noir correspondait bien mieux au côté raffiné du brun qui jouait la carte de la timidité ce soir.

Il ne le savait pas. Cette phrase ne manqua pas de résonner dans l'esprit de Masashi durant de longues minutes. Sa fierté lui faisait presque bomber le torse tandis qu'une excitation digne d'un enfant de cinq ans sévissait dans tout son être. Chisei avait donc désobéi à un ordre prononcé sûrement depuis bien des années pour être un peu trop curieux et rejoindre Masashi dans son cabaret. Chisei était en train de commettre un impair dans cette pseudo-relation qu'il ne cessait de débiter en deux rencontres.Oui, bien sûr, au fond de lui, l'homme en costume trépignait d'impatience que son interlocuteur accepte sa proposition, signe le maudit contrat qu'il pouvait toucher au fond de sa poche de son index. Avalant une nouvelle gorgée de sa boisson, le sourire de Masashi ne fit que s'élargir aux nouveaux propos du plus jeune; de ce garçon qui se montrait si téméraire malgré les interdictions qui pendaient autour de son cou à l'instar d'un véritable fardeau trop lourd à porter pour lui. « Parce que vous n'êtes pas encore convaincu, Chisei ? » l'interrogea-t-il tandis que le strip-teaser prenait son aise en venant le surplomber de son corps si frêle, si délicat. Quelques secondes, il apprécia les caresses du plus jeune, son désir de le posséder ne faisant que s'accroître à chaque fois que l'un de ses doigts entrait en contact avec sa peau. Aussi abandonna-t-il un faible râle de mécontentement quand Chisei brisa leur intimité. « Quelle est votre réponse alors ? Dans quel but êtes-vous venu me rendre visite ? »
A ces mots s'accompagnèrent des gestes. A son tour, l'homme en costume glissa ses mains dans le dos de son vis-à-vis, l'aidant ainsi à se rapprocher de son propre corps. Redevenus si proche, Masashi ne se gêna pas non plus pour passer sous le tee-shirt du brun, appréciant la courbe musclée de son dos. Il dégagea finalement l'une de ses mains pour la faire revenir sur l'arête de son menton, lui faisant tourner le visage dans sa direction. Rares qu'ils étaient, un sourire discret s'afficha sur son visage alors qu'il l'approchait de l'oreille de Chisei, comme pour lui rappeler leur première rencontre. « Vous seriez si beau, resplendissant et... libre, susurra-t-il. C'est de ça dont vous rêvez, n'est-ce pas ? De la liberté. » Il le sentit se raidir sur lui, ce qui ne manqua de l'amuser. D'un coup de rein, il le fit revenir à lui, le plaquant davantage sur sa poitrine avant que ses lèvres ne viennent frôler les siennes. Il ne dit rien, trépignant encore comme un enfant devant ses cadeaux de Noël. Après tout, c'étaient les fêtes de fin d'année et Chisei était le cadeau le plus inespéré. « Qu'est-ce que dirait votre maître s'il vous savez sur mes genoux de votre propre intention ? Soyez raisonnable Chisei, vous ne pouvez pas résister plus longtemps, je le sais. » Il finit par le repousser doucement pour le fixer dans les yeux, n'ayant rien de plus à ajouter dans l'immédiat. Il le remit sur ses pieds pour glisser un papier de plusieurs pages sur la table basse et déposer une cigarette entre ses lèvres rosées.
D'aussi loin qu'il puisse s'en souvenir, en-dehors de cet établissement, le strip-teaser était sûrement l'unique personne qu'il désirait avec autant d'ardeur. Il l'imaginait plus beau que jamais, volatile comme à son habitude, et il savait que grâce à lui son cabaret connaîtrait encore plus de succès. Chisei était reconnu dans son domaine, mais qu'en serait-il s'il venait à s'essayer à un autre style ? Il attirerait les plus curieux, séduirait les plus réticents et fidéliserait tout le monde qui passerait les portes du Dahlia Noir. Mais, à l'évidence, il n'y avait pas que sur le plan financier que Masashi souhaitait voir le brun à ses côtés. Son désir appelait le sien et il était bien curieux de savoir pour quelle raison l'un comme l'autre n'avait pas encore cédé à cet appel qui se faisait de plus en plus fort à chacune de leur rencontre. « Il suffit juste de signer en bas de la dernière page. » Quoi de plus simple ? Il tira une latte de sa barrette de nicotine, ses pupilles noires figées sur l'homme en face de lui.

Masashi voulut lever une main comme en signe d'excuses, mais il savait qu'il n'avait rien fait. Il ne broncha donc pas, ses pupilles figées sur son interlocuteur qui se mettait dans un état qui ne lui convenait clairement pas. Le propriétaire du Dahlia Noir demeura donc là, assis sur son fauteuil à tirer sur sa cigarette tandis que le strip-teaser s'énervait, déblatérant des propos dont il ne connaissait probablement pas le sens. Mais Masashi ne lui en voulait pas, au contraire, c'était bien qu'il extériorise ses pensées, ses sentiments. Cela prouvait déjà qu'il en possédait et qu'enfermé dans cet établissement, d'autres choses étaient capables de se dérouler. Au fond de lui, l'homme en costume était satisfait des paroles de son interlocuteur. Chisei n'avait peut-être pas tout à fait tort, mais il était quand même loin de la vérité. Que connaissait-il de la vie, à vingt-trois ans ? Lui-même avait à peine commencé à la découvrir à ce moment-là ! Il avait beau s'activer dans tous les sens, cela serait du pareil au même. Le strip-teaser devait encore grandir pour comprendre le sens de tout ce qui l'entourait. Il devait se faire sa propre expérience et c'était, finalement, ce que lui offrait Masashi en lui tendant son contrat de travail. De l'expérience, expérimenter la liberté de l'enfant qu'il était encore dans son âme. « Je suis déçu si vous pensez cela de moi. Votre corps n'est pas tout ce qui m'intéresse ; pourquoi vous offririais-je le privilège de travailler à mes côtés, Chisei ? »
Il abandonna un soupir en écrasant sa cigarette dans le cendrier disposé sur la table basse. Il avait quitté des yeux son vis-à-vis qui, de toute façon, ne se priva pas de le laisser tout seul dans son bureau, empoignant son manteau et lâchant le contrat. La porte claquant derrière lui, Masashi glissa une main dans sa chevelure brune tout en se reculant dans son siège. La visite s'était si bien déroulée, tout juste qu'ici avait été subtilement mené pour que le strip-teaser accepte de déposer sa signature en bas de la dernière page. Maintenant, il était décontenancé de se retrouver là, presque jeté derrière lui. Il claqua sa langue contre son palais, sautant sur ses pieds pour rejoindre Chisei à l'extérieur. Il lui était hors de question de se laisser abattre pour si peu. Il avait connu déjà bien pire et ce n'était pas dans son caractère de retrouver ses vieux démons en si peu de temps. Chisei avait un étrange pouvoir sur lui, mais il ne serait pas la personne qui le confronterait de nouveau face à ce passé qu'il détestait. A son tour donc, il déboucha sur le dehors, apercevant ce manteau de neige qui avait eu le temps de tomber. Depuis combien d'heures était-il dans le cabaret ?
Glissant sa main dans sa poche, il en sortit un fin bijou. Tranchant avec sa précédente colère, Chisei était redevenu enfantin, s'extasiant sur les flocons qui tombaient sur sa chevelure à la même fois que sur les toits, les routes, les voitures, de la grande ville qui ne dort jamais. Masashi arriva dans le dos du plus jeune et entoura son cou d'un collier en or, un peu trop long afin qu'il lui tombe sur la poitrine. « J'espère que vous saurez apprécier ce présent, lui murmura-t-il à l'oreille, passez de belles fêtes, Chisei. » Il glissa une main à sa joue avant de lui adresser un signe de la main. « Dans l'espoir d'avoir de vos nouvelles très prochainement. »