broken bones from crashed dreams ((iouri))

Iouri c’est :

La Russie d’abord. Toujours. C’est ses premières années à St Petersburg. C’est du temps dans la vieille maison de sa grand-mère, c’est ses berceuses, c’est ses histoires. C’est la compréhension que non ce n’est pas que maman ne l’aime pas. Mais maman était trop jeune. Elle avait plus l’âge d’être une grande sœur. Maman elle l’adore. Maman quand elle revient à la maison, elle a toujours ce grand sourire, elle l’appelle son soleil et le fait voler haut dans le ciel. Maman elle sait juste pas comment s’occuper d’un enfant. Elle est trop jeune. Puis maman elle a été blessée par celui qui est son géniteur. Celui qui ne portera jamais le nom de père. Forcée. Presque brisée. Mais maman c’est une battante. Puis elle est belle. Telle une fée, elle danse sur la glace. Et quand elle revient, elle l’emmène danser sur les canaux de la ville, elle lui met des jolis patins et elle le fait glisser, le fait voler, le fait rêver. Maman elle le laisse jouer avec ses médailles, elle lui embrasse aussi le front avec des larmes pleins les yeux quand elle doit repartir, s’excusant de ne pas être là, de ne pas être assez bien.

Le pensionnat. Les problèmes à l’école. Des rêves pleins la tête. Le ballet en tête aussi. C’est des cours de danse le soir et la promesse de tenter l’académie de ballet Vaganova. Iouri c’est le gamin un peu différent. Celui qui n’a pas de père. Celui dont la mère ne veut pas d’après les autres. Iouri c’est celui qui reste au pensionnat, non pas parce que ses parents sont loin non. Mais sa mère voyage le monde et brille sur scène, un sourire grand comme l’univers quand elle patine, danse sur la glace, et sa grand mère, elle a du reprendre le travail, alors elle ne peut plus vraiment s’occuper de lui. Ce n’est pas grave. Il a commencé la danse. Et si d’autres se moquent parce que c’est un sport de fille, lui il rêve, s’élève, et déjà il n’a que le ballet en tête. Il veut toucher les étoiles. Alors les moqueries lui passent par dessus, et il s’entête, s’obstine. Ses notes ont du mal à suivre parfois. Il n’est pas forcément bon en cours Iouri, il a du mal avec les lettres, avec les mots, à l’écrit surtout, mais il s’acharne. Iouri c’est de l’acharnement et une enfance bien loin des éclats de rire dans quand il avait deux, trois ans. Parce que Maman vient moins et qu’ils n’ont plus le temps d’aller patiner sur la Moïka.

Le ballet. Il s’est acharné. Il est rentré à l’académie. Du premier coup. On parle de prodige. On parle de danseur né. Iouri il a retrouvé le sourire et il vole, s’envole. Il est gracieux, il est heureux. Il continue ses cours, mais bien vite alors qu’il a à peine quatorze ans, il rentre dans la troupe du théâtre Mariinsky, le Kirov. Il rentre dans la troupe alors qu’il n’a pas encore fini son cursus à l’académie, alors qu’il lui reste encore trois ans de formation. Alors Iouri ça sera des heures à l’académie, des devoirs sur ses genoux entre deux répétitions et ses premières scènes. Il se laisse embrasser par les filles plus âgées qui le traite d’enfant quand il ne ressent rien. Qu’importe. Il danse que voulez-vous. En Quadrille, en Figurant puis très vite en Coryphée. Il est fait pour danser, on lui prédit la scène, les étoiles, la renommée. Mais Iouri il veut juste danser. Alors qu’importe que ce soit au Mariinsky d’abord ou encore au Bolchoï. Qu’importe qu’avec une autorisation signée de la main de sa mère, il peut aller danser à l’Opéra de Paris ou encore à Vienne. Qu’importe oui tant qu’il danse. Et il danse Iouri. Finira ses études tant bien que mal, mais sera déjà Sujet à la limite de devenir Premier Danseur. Et il n’a que dix-sept ans, bientôt dix-huit. La renommée est là. Et Iouri est épanoui, heureux, vivant.

Le rêve brisé. Morcelé. Détruit. Iouri c’est sa première scène en tant que danseur étoile. Sa dernière. La consécration qui vire au cauchemar. Iouri c’est quand avant le ballet il est amené à monter sur scène. Paris. L’opéra de Paris. C’est quand on lui annonce sa nomination, sa nomination au titre d’étoile. Il n’avait pas vingt ans. C’est les applaudissements du public. C’est sa mère au premier qui pleure fièrement. Elle a rangé ses patins il y a peu. C’est son sourire. Les fleurs. La consécration.  L’apothéose de sa vie. Sa chute aussi. Il n’en sait rien. Il salue, remercie. Se prépare. Ce soir il danse Casse-Noisette. Un classique. Il le connaît par cœur. Ce n’est pas de sa faute au final sa chute. Ce n’est pas de sa faute vraiment. Un accident comme un autre. Juste pour le final. Son pas de deux. Les échafaudages tenant les lumières qui cèdent. La panique dans la salle. La douleur qui lui vrille les sens. Casse-noisette s’est brisé. Drosselmeyer n’est pas là pour le réparer. Réveil à l’hôpital. Sa mère pleure. Le médecin est sans appel, il ne pourra plus danser à haut niveau. C’est ses cris au final. C’est son refus d’accepter, c’est quand il sortira de l’hôpital forcer sur son corps pour qu’il lui obéisse. Mais ses os ont été brisés, et son corps se fait capricieux. C’est des nuits encore dans le théâtre Mariinsky, à répéter encore et encore jusqu’à comprendre que les étoiles sont hors de portée. C’est ses larmes quant à la réalisation.

C’est le Japon maintenant. C’est avoir fait un voyage autour du monde. C’est avoir revu ces endroits où il avait dansé, rêvé, volé. C’est son deuil qu’il a fait à chaque étape de son voyage, à chaque escale avant d’arriver au Japon. La vingtaine seulement. Un rêve brisé, et des étoiles absentes dans ses yeux. C’est le Japon oui. C’est un contrat signé pour qu’on utilise son image. Non plus danseur mais mannequin. Non plus danseur, mais juste un visage et une renommée qu’on utilise encore. C’est un visa qu’il renouvelle chaque année. C’est son visage dans des publicités, dans des magasines. C’est sa silhouette qui se dessine à la télé, et un cachet qui lui permet de vivre confortablement. C’est la danse, toujours. Parce qu’il n’a jamais pu arrêter. C’est trop cruel. Sans la danse il n’aurait rien eu pour le garder en vie. C’est la danse. La rencontre avec ces gens, ce groupe dans lequel il évolue, renait tel un phénix. C’est la danse. D’abord dans une salle, puis de nouveau à l’air libre. C’est des cartes postales envoyés à sa mère et de longues conversations quand il a besoin de renouer avec ce qu’il est. C’est Yuri, plus que Iouri, c’est la rue, c’est internet plutôt que les scènes des plus grands opéras. C’est un titre qui lui colle toujours à la peau. Parce que quand on est une étoile, on le reste à jamais. Mais il ne danse plus comme une étoile. Il danse sur terre, il danse avec des paillettes dans les yeux et des éclats de rire. C’est un rêvé détruit, et un corps brisé qu’il pousse toujours à se dépasser. C’est la réalisation que vraiment les relations charnelles ça ne lui fait rien, si ce n’est l’effrayer un peu, et l’idée que son cœur est peut-être détraqué.